Émergence informationnelle (information surfacing)

2022-10-03

Dans ma thèse (terminée mais pas encore soutenue au moment où j’écris ce billet), j’utilise l’expression « émergence informationnelle » pour désigner les mécanismes qui permettent une remontée d’information autonome, passive, non sollicitée. Je positionne explicitement le concept par rapport à la récupération d’information classique, information retrieval en anglais, en traduisant « émergence informationnelle » par « information surfacing ».

État de l’art

L’idée de faire émerger de l’information apparaît régulièrement dans la littérature scientifique et technique. En revanche, elle est rarement conceptualisée sous la forme d’un terme ou d’une expression dédiée. Pour le moment, je n’ai trouvé que trois sources qui définissent plus ou moins rapidement « information surfacing », et uniquement dans la littérature technique. Deux de ces sources associent l’expression au fait de révéler des données ou des motifs cachés :

“Information surfacing: revealing previously hidden data.”« Émergence informationnelle : révéler des données précédemment cachées McFedries, « Information at your fingertips », 2009, p. 24.
 ».

“Latent information surfacing (finding hidden patterns and relationships that would not be perceptible otherwise).”« Émergence informationnelle latente : trouver des motifs et des relations cachées, qui ne seraient pas perceptibles autrement Hai-Jew, « Static Text-Based Data Visualizations », 2015, p. 207.
 ».

La troisième source parle d’émergence informationnelle dans le contexte du design. L’expression désigne ici une composante du travail d’architecture de l’information, complémentaire à la hiérarchisation de l’information :

“Information surfacing is a top-down, strategic approach to design […] It’s important to differentiate information surfacing from information hierarchy. Information surfacing is more specific to the visual presentation of information on a single page or in a single instance. While it doesn’t involve categorization, per se, it does involve decisions: such as which fonts to make bolder or which elements to show on mouse rollover. It’s all about which information you want to ‘surface’.”« L’émergence informationnelle fait partie des approches stratégiques descendantes en design […] Il est important de distinguer émergence informationnelle et hiérarchie de l’information. L’émergence informationnelle relève de la présentation visuelle de l’information dans un contexte précis. Contrairement à la hiérarchisation, elle n’implique pas de catégorisation ; en revanche, elle implique de prendre des décisions : par exemple, quelle police de caractère mettre en gras, ou quels éléments afficher au passage de la souris. Il s’agit de savoir quelle information on veut faire émerger Volnyansky, « Information Surfacing », 2012.
 ».

Usage en sciences de l’information

Si je publie ce billet, c’est parce que je pense que le concept d’émergence informationnelle présente un intérêt pour les sciences de l’information. Je pose ici quelques réflexions (l’écriture m’aide à réfléchir), que je compte développer plus tard dans un article.

Dans ma thèse, je décris une expérience de documentation personnelle hypertextuelle qui s’appuie sur le logiciel de visualisation Cosma comme outil réflexif et aide-mémoire. Je parle de visualisation dans un sens assez large : Cosma inclut des formes classiques de visualisation de données (comme la représentation d’un ensemble de documents interreliés sous la forme d’un réseau de points) mais aussi des fonctionnalités logicielles qui relèvent du rendu, de la présentation de l’information (par exemple le fait d’afficher les liens entrants vers un document avec leur contexte d’énonciation).

Cette expérience m’a confronté à plusieurs reprises à une logique d’émergence informationnelle : je trouvais de l’information pertinente que je n’avais pas cherchée directement, parce que le dispositif implique des formes de « voisinage ». Ce sont par exemple les nœuds voisins dans la visualisation du réseau, qui se rappellent à mon souvenir de manière fortuite ; ou encore deux idées que je n’avais pas rapprochées et que je vois soudain côte à côte grâce à la présence d’un mot-clé commun.

J’ai observé ainsi que l’émergence informationnelle favorise la sérendipité, c’est-à-dire le fait de « savoir prêter attention à un phénomène surprenant et imaginer une interprétation pertinenteCatellin et Loty, « Sérendipité et indisciplinarité », 2013, p. 34.
 ». La sérendipité intervient lorsqu’on fait une découverte inattendue et qu’on décide d’en faire quelque chose. Cela ne relève pas tellement du hasard plutôt que des « idées non cherchéesIbid., p. 33.
 ».

Je pense donc qu’il y a quelque chose à faire de concept d’émergence informationnelle, et pas seulement en lien avec l’épistémologie visuelle, comme je le fais dans ma thèse. Affaire à suivre.

Références

Catellin, Sylvie et Loty, Laurent. « Sérendipité et indisciplinarité ». Hermès. 2013, n° 67, p. 32‑40. https://doi.org/10.4267/2042/51882.
Hai-Jew, Shalin. « Static Text-Based Data Visualizations: An Overview and a Sampler ». Dans : Design Strategies and Innovations in Multimedia Presentations. IGI Global, 2015, p. 203‑302. 978-1-4666-8696-0.
McFedries, Paul. « Information at your fingertips ». IEEE Spectrum. 2009, Vol. 46, n° 4, p. 24‑24. https://doi.org/10.1109/MSPEC.2009.4808383.
Volnyansky, Ernest. « Information Surfacing: Communicating through Design ». Dans : UX Booth. 2012. https://www.uxbooth.com/articles/information-surfacing-communicating-through-design/.